[Exposition] Passages
Pour ce jeune sculpteur, performeur, grand amateur de flâneries et de contemplations, c'est sûr: le monde est un immense terrain de jeu. C'est avec une fraîcheur et une ironie jamais cynique qu'il investit les objets, les formes et les lieux qui l'entourent, dans un dialogue teinté d'hédonisme où s'exprime sans candeur le plaisir d'être ici et maintenant.
Antoine Proux assemble, compose, joue avec les standards et les contradictions. Nombre de ses sculptures sont portables: elles sont le prétexte à des promenades ludiques et créatives, objets de réflexion lorsque par exemple, il va leur faire rencontrer les oeuvres des Maîtres au sein des institutions culturelles. Elles deviennent traces lorsque elles sont installées dans la rue selon un choix subjectif, offertes au quidam et laissées à leur propre évolution.
Le travail d'Antoine Proux magnifie la non-finalité et cultive les émotions sensorielles que peut provoquer chaque jour le monde au sein duquel nous vivons.
En arrivant à La Gâterie, Antoine Proux a rapidement installé son plan de travail: un établi démontable et transportable sur lequel sont nées la plupart de ses réalisations. Ces nombreuses manipulations ont marqué le bois d'un réseau de lignes profondes auxquelles l'artiste a superposé les cartes des villes dans lesquelles il a vécu. Imprimées sur papier calque, le réseau routier se mélange à ces traces. Une guirlande électrique se promène au-dessus de ces entrelacs; des miniatures auxquelles l'artiste a donné la forme des logements qu'il a occupé viennent se placer sur de petites diodes qui les illuminent momentanément. Leur couleur définit la possibilité qu'il a aujourd'hui de se rendre encore ou non dans ces lieux. Enfin, la guirlande vient s'enrouler autour d'un témoin, ce bâton que les coureurs s'échangent dans les courses de relais.
Installée à l'entrée de l'exposition, Dancing Way regroupe toutes les préoccupations actuelles d'Antoine Proux, dont on retrouvera différentes déclinaisons à travers cette première exposition personnelle. En premier lieu, la question de l'Art: ce dernier ne cherche pas à dissimuler sa réalité artisanale; paradoxalement, sa non-finitude est affirmée: l'art est un chantier toujours en cours. En parallèle, la figure de l'artiste ici proposée est celle d'un être toujours en mouvement qui parcoure le monde afin de le saisir. A l'image de son œuvre, il est sans cesse positionné de façon instable entre la sphère privée et l'espace. Passant de l'une à l'autre sans complexe, Antoine Proux établi des correspondances ayant pour support le jeu avec les signes. Apparait en effet avec les cartes le second point manifeste de cette pièce: la carte répond à un besoin éternel de se repérer dans l'espace. Elle Permet de le construire et de le représenter comme un tout, notamment à l'aide de codes graphiques. Ces derniers ont évolué en même temps que les progrès scientifiques et techniques, affinant sa capacité d'abstraction, mais ceci n'a jamais empêché le cartographe d'être une sorte de peintre-figuratif, de paysagiste: si l'on s'en reporte à la logique de Port-royal « Quand on ne regarde un certain objet que comme en représentant un autre, l'idée qu'on en a est une idée de signe. C'est ainsi qu'on regarde d'ordinaire les cartes et les tableaux [...]. Et ainsi l'on dira sans préparation et sans façon [...] d'une carte d'Italie que c'est l'Italie ». La carte se voit et se lit: elle est à la fois un instrument et une image, un outil et un symbole.
Au vu de réalisations telles que Moulin à Paroles ou Pause, on s'aperçoit qu'une partie du travail entrepris par Antoine Proux consiste justement à cartographier le réel, mais à vif. En utilisant des symboles courants, à travers des actions minimalistes et des gestes simples, il marque le territoire de points de repères, balises d'un temps et d'un lieu particuliers qui sont autant d'invitations à reconsidérer le paysage urbain. Si la photographie permet de témoigner de ce marquage du territoire, la série Dirty Boots dont nous est ici présenté l'Episode Bleu fonctionne selon une stratégie inverse: ce sont des rebuts d'une même couleur collectés le temps d'une promenade qui témoignent et manifestent du passage de l'artiste. Ces détritus réifiés participent dès lors à la création d'un parcours, d'un réseau coloré pouvant s'étendre à l'infini. Concept que l'on retrouve dans les Tableaux Praticables, ces pistes d'escalade que chacun est invité à créer autant qu'il le souhaite et à nommer. Si les stratégies et les formes varient de façon ludique dans l'oeuvre d'Antoine Proux, elles sont toutes régies par une constante: celle du hasard et de l'aléatoire. La parenthèse qui s'ouvre sur les baies de La Gâterie paraît ainsi faite pour nous inviter à ce genre de promenades hasardeuses qu'affectionnaient particulièrement les Situationnistes. Par analogie, on songe à Barthes écrivant: « Ne jamais fermer les parenthèses, c'est très exactement dériver ». La courbe métallique installée dans la grande salle évoque elle aussi ce signe de ponctuation. Placée face aux murs noirs et aux deux grandes baies peintes en blanc pour nous révéler la présence du symbole Pause dans l'architecture et créer des jeux de lumière, elle reprend la fonction secondaire des barres métalliques qui délimitent les parterres de verdure de nos villes. On en retrouve par exemple sur le boulevard Pigalle, particulièrement affectionné par l'artiste. Les gens s'y assoient pour lire, discuter autour d'une canette, regarder les passants...
Il serait intéressant de développer autour des nombreux clins d'œil affectueux d'Antoine Proux à des artistes tels qu'Yves Klein, le peintre de l'espace, ou encore Robert Filliou, génie sans talent et auteur d'une sentence idéale pour conclure ici: «L'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art».
François Mallard